Dépollution par Total, les écologistes du 19e interpellent le préfet !

Suite à notre vœu de fin 2022 resté à ce stade sans réponse, les écologistes ont décidé d’interpeller directement le préfet pour qu’il agisse. Retrouvez ci-dessous le courrier qui lui a été adressé.


Paris, le 16 novembre 2023

Objet: Application du principe pollueur payeur dans le dossier de dépollution des sites des anciennes stations TOTAL au voisinage de la porte de la Villette.

Monsieur le Préfet de Police,

Il y a un an, un vœu adopté par le Conseil d’arrondissement du 19eme, à Paris, puis par le Conseil de Paris lors sa session de novembre 2022 demandait à ce que TOTAL engage sans délais les travaux nécessaires à la finalisation de la dépollution du site d’une ancienne station service dont il est le dernier exploitant et qui est située sur le domaine public de la Ville de Paris. Les élus ont, de plus, souhaité qu’à défaut, l’État fasse exécuter d’office ces travaux, au frais de l’exploitant. Nous regrettons de constater que ce vœu semble être resté lettre morte.

Depuis son adoption, nous avons pu constater que ce sont en réalité deux stations-services qui ont fonctionné dans le quartier de la porte de la Villette entre les années 1970 et les années 2000. Ces sites1, auxquels l’inspection des installations classées a associé les dénominations Villette 1 et Villette 2 étaient, sur le fondement de l’article L.511-2 du code de l’environnement, des installations classées soumises à déclaration. Ils ont cessé toute activité et ont été démantelés respectivement en 2005 et 2008.

Comme en dispose l’article L.512-12-1 du code de l’environnement, il appartenait à l’entreprise TOTAL, dernier exploitant de ces stations-service et auteur des déclaration de fin d’activité de placer les sites dans un état tel qu’ils ne puissent porter atteinte aux intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 (au premier rang desquels figurent la santé, la sécurité et la salubrité publiques) et qu’il permette un usage futur comparable à la dernière période d’activité de chacune des deux installations.

A la suite des « diagnostics sols pollués » réalisés en 2004 et 2005 pour chacune de ces installations, d’importantes excavations de terres pollués2 ont été effectuées en 2006 et 2008, postérieurement au démantèlement des installations et au retrait des cuves.

Cependant, en dépit des multiples préconisations de l’inspection des installations classées et de l’édiction de vos deux arrêtés de prescriptions spéciales datés respectivement du 21 août 2014 (Villette 2) et du 3 octobre 2014 (Villette 1), une pollution importante des sols et des eaux souterraines subsiste encore aujourd’hui. Un permis de construire, déposé en 2010 en vue de la réalisation d’un complexe hôtelier a d’ailleurs dû être différé sine die en raison de cette pollution il y a déjà plus de 10 ans. Il est consternant de constater qu’aujourd’hui les terrains et sous-sols concernés par la présence des anciennes installations sont toujours loin d’avoir été réhabilités de manière satisfaisante, même pour l’usage industriel et tertiaire non sensible prévu par la réglementation.

Nous avons pu consulter, suite à une demande adressée par nos soins à vos services, les rapports de l’inspection des installations classées réalisées en 2014, 2019, 2020 et 2021 relatifs à la remise en état de ces sites ainsi que des documents de synthèse établis par vos services. Ils sont éloquents: il ressort de cette documentation qu’il restait, en 2021, plus de 8 tonnes d’hydrocarbures dans le sous-sol de ces deux sites3, dont la majeure partie flotte ou est dissous dans les eaux souterraines, à 12 mètres de profondeur.

TOTAL a mis en œuvre successivement une technique « d’écrémage passif » de 2006 à 2012 puis, depuis 2012, une technique de « pompage-écrémage », avec réinjection des eaux prélevées dans la nappe phréatique après leur traitement par décantation et filtrage au charbon actif. Vos arrêtés de 2014 précités valident le choix de l’exploitant de mettre en œuvre cette dernière technique, en l’assortissant d’obligations de comptes rendus semestriels qui ne semblent avoir été qu’imparfaitement respectée par TOTAL.

Cependant, les rapports successifs de l’inspection des installations classées permettent de conclure que ces stratégies ont été, dans l’ensemble, peu efficaces.

En premier lieu, elles n’ont permis de récupérer, depuis 2006, qu’environ 1,94 tonnes d’hydrocarbure sur le site Villette 1 et 2,5 tonnes sur le site Villette 2. Au moins 20% de la pollution initiale serait encore présente dans les sous-sols, avec un risque de fuite de la pollution dans les sols avoisinants et jusqu’au canal Saint-Denis, situé à 200 mètres.

En second lieu, les quantités récupérées semblent diminuer d’année en année. Ce sont désormais moins de 10 litres qui sont récupérées chaque mois, principalement dans le sous-sol du site Villette 1 alors que le cumul des quantités récupérées sous Villette 2 suit une courbe asymptotique depuis 2012. A ce rythme, il faudrait peut-être encore une quinzaine d’année avant que la dépollution puisse être considérée comme satisfaisante, même en vue d’un usage futur de type industriel ou tertiaire excluant notamment la construction de logements ou d’équipements scolaires.

Il apparaît, en outre, que la pollution s’est étendue au-delà des limites de chacun des deux sites et qu’un « panache d’hydrocarbures » non précisément délimité se serait formé au-dessus de la nappe phréatique, entre 10 et 12 mètres de profondeur. L’objectif de confinement hydraulique de la pollution qui devait résultat de la mise en place de puits de pompage n’a donc, semble-t-il pas été atteint. De plus, le rapport 2019 de l’inspection des installations classées indique que, d’un point de prélèvement à l’autre, les teneurs en polluants (principalement hydrocarbures et BTEX) restent fluctuantes et parfois importantes.

Enfin, la chronique dressée par l’inspection des installations classées montre que cette dépollution a été émaillée d’incidents techniques tels que des pannes ou des encrassements de filtres qui n’ont été changé qu’au bout de plusieurs mois. De plus, la sécurité globale des sites n’a été qu’imparfaitement assurée par l’exploitant qui a fait état, avec retard, d’intrusions, notamment en 2020.

Dans ce contexte, il ne nous paraît pas assuré qu’il n’existe pas de risques pour la santé des riverains de ces sites, que ce soit par contamination de l’eau potable (les mesures effectuées par l’exploitant n’ont pas convaincu l’inspection des installations classées) ou de l’air ambiant, notamment à l’intérieur des bâtiments riverains des sites pollués. En tout état de cause, nous observons que l’analyse globale de risques résiduels (études visées par vos arrêtés de 2014) qui date de l’année 2012 ne semblent pas avoir été actualisée depuis, même si des mesures de concentration en hydrocarbures et gaz de sols sont, en principe, réalisées chaque semestre.

Le rapport 2014 de l’inspection des installations classées faisait état d’un risque d’émanations de benzène, notamment dans le foyer de travailleurs ADOMA qui jouxte le site Villette 1. De même, l’école maternelle « Jacques Prévert » à Aubervilliers, située à proximité de la place Auguste Baron faisait l’objet d’une prescription de mesures de gaz de sol dans les arrêtés d’août et octobre 2014. Les documents que nous avons pu consulter sont muets quant à l’évolution de ces risques au cours des trois dernières années. Les doutes nous semblent devoir être levés de manière urgente et nous demandons, en conséquence, une évaluation précise et transparente des risques résiduels sanitaires, tels qu’ils se manifestent aujourd’hui.

Enfin, il est surprenant de constater qu’en 2019, soit 5 ans après la publication des arrêtés de prescription, l’exploitant n’avait toujours pas complété le plan de gestion qui lui avait été prescrit et n’ai pas davantage réalisé un bilan coûts-avantages de nature à justifier les choix de dépollution mis en œuvre.

Les documents de synthèse mis à notre disposition laissent apparaître qu’en 2022 le bilan coût-avantage ayant enfin été réalisé), le maintien du traitement actuel reviendrait à 500K euros alors qu’une excavation des terres polluées aurait un cout de 4,5M euros.
Toutefois, compte tenu notamment de la santé financière de l’entreprise TOTAL (dont le résultat net mondial a atteint 20 milliards de dollars en 20224), on voit mal comment se justifie le choix de laisser perdurer cette pollution et de ne pas appliquer pleinement le principe pollueur-payeur.

Le rapport de tierce expertise commandé par la Ville de Paris et réalisé en 2012 préconisait pourtant la mise en œuvre de sondages complémentaires selon un maillage de 10m * 10m pour « anticiper la gestion de terres excavées dans le cadre du programme de réaménagement », avec scission des coûts pour isoler ce qui résulte de la pollution historique de ce qui est lié aux caractéristiques du terrain5. Il s’agissait bien, dès ce moment, de chiffrer au plus près la responsabilité incombant à TOTAL dans la remise en état du site.

Au moment où Paris a fait le choix d’adopter un PLU bioclimatique et envisage la réhabilitation du quartier « porte de la Villette », trop longtemps laissé à l’abandon, un tel manque d’exigence de l’État à l’égard d’une entreprise prospère telle que TOTAL nous apparaît particulièrement choquant. Dès lors que, comme rappelé au premier paragraphe du présent courrier, l’article L.556-3 du code de l’environnement vous permet d’enjoindre à l’exploitant de réaliser les travaux nécessaires à la remise en état du site et, s’i l ne s’exécute pas, de réaliser ces travaux à ses frais, nous vous demandons de nouveau de faire usage de cette faculté.

A défaut, nous serions réduits à considérer que, du fait des carences de l’exploitant auxquelles s’ajoute celle de l’État, c’est le contribuable parisien qui pourrait devoir un jour assumer les coûts de la remise en état et de la pleine maitrise, par la Ville de Paris, de son domaine public.

Si nécessaire, nous n’hésiterons pas à agir par toute voie de droit en vue de la préservation des intérêts mentionnés à l’article L.511-1 du code de l’environnement qui, en l’espèce, coïncident avec ceux de la Ville de Paris et des riverains des sites.

Nous nous tenons à votre disposition pour échanger sur ce dossier. Veuillez agréer, Monsieur le Préfet de Police de Paris, mes salutations les plus sincères


1 Pour mémoire, le site Villette 1 est situé sente Bigot et le site Villette 2 à la hauteur du 13 Boulevard de la commanderie, dans le XIXeme arrondissement de Paris.

2 2850 tonnes de terres polluées sous « Villette 1 » et 6477 tonnes sous Villette 2.

3 6,7 tonnes d’hydrocarbures pour Villette 1 et 1,6 tonne sous le site Villette 2

4 Communiqué de presse de TOTALÉnergies du 8 février 2023.

5 Rapport 2014 de l’inspection, p.6.